1792 : la Manufacture royale des glaces dans la tourmente de la Révolution

La Révolution saisit la Manufacture royale des glaces en pleine prospérité mais, comme les ventes se maintiennent dans un premier temps, elle n’inquiète pas outre mesure ses administrateurs. Pourtant ceux-ci se divisent face à la Révolution : certains y sont favorables, d’autres émigrent. La Manufacture est bientôt prise dans la tourmente des événements : une partie des ouvriers de ses ateliers du faubourg Saint-Antoine, devenu l’un des principaux foyers d’agitation parisiens, participe aux grandes journées révolutionnaires. A Paris et à Saint-Gobain, malgré la diplomatie déployée par les directeurs, la tension est parfois vive au sein d’un personnel éprouvé par les disettes, l’augmentation des prix et la menace du chômage. La manufacture de Saint-Gobain est arrêtée en 1797. La reprise ne se manifestera qu’à partir de l’avènement du Consulat, en 1801.

Jusqu’à la généralisation de la guerre continentale en 1792, les ventes de la Manufacture se maintiennent aux deux tiers du maximum de 2,8 millions de livres atteint en 1788. Leur niveau est soutenu par les exportations qui représentent encore près de la moitié du total en 1792, malgré la montée en puissance outre-Manche de Ravenhead, manufacture de glaces fondée en 1773.
Le séquestre prononcé sur les biens des actionnaires émigrés, qui comptent pour près d’un quart du capital, entraîne l’entrée au Conseil d’administration d’un représentant de la Régie des domaines nationaux. Le caractère collégial de la direction et les concessions faites au nouveau pouvoir – on fait marteler les fleurs de lys sur le fronton des établissements après la chute de la monarchie en août 1792 – assurent la continuité de l’entreprise.
La conjoncture se dégrade brutalement à partir de 1793, sur un marché désormais encombré par la vente des biens meubles d’émigrés confisqués par la Nation, au moment où la demande intérieure fléchit et où les marchés extérieurs se ferment. Les ouvriers doucisseurs et polisseurs de Paris partent aux armées sans être remplacés, la glacerie de Tourlaville est arrêtée en décembre 1793 et convertie en fabrique de salpêtre pour la production de poudre à canon. Les ventes s’effondrent en 1795. Aucun dividende n'est versé aux actionnaires en 1798 et 1799 et il faudra attendre 1801 pour que l'activité redémarre pleinement.
Quoique difficile, la période de la Révolution n’aura pas été vaine : profitant de la vente des biens nationaux, la Manufacture a pu acquérir à bon compte les terrains de Chauny qui seront l’une des bases de son développement industriel au siècle suivant, afin de produire la soude artificielle nécessaire aux verreries par le procédé Leblanc, breveté en 1790.