1914 : la Grande Guerre, meurtrière et créatrice

Le déclenchement de la Première Guerre mondiale en septembre 1914 marque une rupture dans l’histoire de Saint-Gobain : la Compagnie, qui a acquis une dimension européenne depuis la fin du XIXe siècle, se trouve profondément déchirée par la guerre qui oppose les empires centraux aux puissances occidentales. Sa branche verrière est en partie paralysée par les destructions d’usines et les mises sous séquestre. Le personnel masculin en âge de combattre est mobilisé dans les armées belligérantes. La Compagnie se recentre sur sa branche chimique qui se met au service de l’effort de guerre de la France.

Dès que la guerre éclate, les communications de la Compagnie avec ses glaceries allemandes sont coupées : d’abord placées sous séquestre, les usines de Stolberg et de Mannheim font ensuite l’objet d’adjudications forcées, de même que les participations de Saint-Gobain dans les usines de Sindorf et d’Herzogenrath. L’invasion de la Belgique et du quart Nord-Est de la France par l’armée allemande conduit à l’arrêt des usines de Franière, Saint-Gobain, Chauny et Cirey ; les trois dernières, proches de la ligne de front, sont très éprouvées par les bombardements. Seules continuent à fonctionner la glacerie de Montluçon en France et les glaceries situées dans les pays neutres.
L’échec de la guerre de mouvement installe le conflit dans la durée : la guerre de tranchées, dans lequel le rôle de l’artillerie est prépondérant, provoque une augmentation brutale de la consommation des poudres et explosifs et des produits chimiques nécessaires à leur obtention. Premier producteur français d’acide sulfurique à la veille de la guerre, Saint-Gobain est appelé à jouer un rôle majeur dans la mobilisation industrielle : de 5 400 tonnes par mois en 1914, la production passe à plus de 100 000 tonnes par mois en juin 1918. Les bénéfices des usines, globalement équilibrés entre la branche chimique et la branche verrière avant la guerre, sont assurés à hauteur de 90 % par la première en 1918.
La branche verrière évolue également : dans le domaine du verre optique, Saint-Gobain prend le contrôle en 1915 des Verreries de Bagneaux-sur-Loing pour répondre aux besoins de l’observation militaire ; surtout, après l’armistice, l’indemnisation des dommages de guerre donne un nouvel élan à la modernisation des usines, élan incarné par la construction de la glacerie de Chantereine.
La Compagnie paye cependant un lourd tribut humain à la guerre, que rappellent encore aujourd’hui les monuments aux morts dans certaines usines. Fidèle à sa tradition d’assistance, elle développe les mesures de soutien aux familles des employés mobilisés ou tués à la guerre, ce qui n’exclut pas des fêlures dans le pacte social dès la paix revenue : Saint-Gobain doit faire face à des grèves d’une ampleur historique dans ses usines chimiques en 1919 en raison de la dureté des conditions de travail et de l’augmentation du coût de la vie.